Dagena donne un précieux conseil à la Comtesse
Avril 1007.
Ces derniers temps, Dagena appréciait particulièrement les réunions du château de Pradvael. Le Comte d'Uzel était toujours banni et la nouvelle Reine n'était pas encore disposée à la recevoir, si bien qu'au lieu d'être cantonnée à la salle de couture avec les autres dames, elle pouvait assister de loin aux discussions militaires entre son mari et le Roi.
« Et vous ne devinerez jamais ce que je viens d'apprendre ! » s'exclama Dagena. « Bien sûr, nous regrettons tous la mort de notre chère Donada. Mais ce que nous devrions redouter davantage, c'est la réaction de son frère, le Roi d'Écosse. Le Roi craignait qu'il ne lève une armée contre Pradvael. Fort heureusement, il vient d'essuyer une lourde défaite contre le Comte Uhtred de Northumbrie. On raconte qu'Uhtred a fait couper les têtes des Écossais vaincus, qu'il a payé contre une vache les femmes Écossaises pour les nettoyer et qu'il a plantés ces têtes au bout d'une pique tout autour de son château ! »
« Dagena, c'est affreux ! Mais je n'ai pas besoin que vous me rapportiez des détails aussi sordides. Je voudrais seulement savoir si votre époux a parlé du mien au Roi. »
« Malheureusement, ils sont trop préoccupés par les guerres dans le nord pour se soucier du cas de votre mari. J'aimerais qu'il en soit autrement. Mais comprenez bien que si j'osais en parler au Roi, il n'accepterait plus ma présence à ces réunions et sa colère envers Foulque pourrait augmenter. »
« Vous n'imaginez pas la solitude dans laquelle je vis. En dehors de vous, je ne reçois aucune visite. Je suis condamnée à rester enfermée au château et à tisser des tapisseries. »
« Il faut garder espoir, Pétronille. Le Roi est abattu en ce moment, je le vois bien. Et je ne pressens rien de bon au sujet de cette nouvelle Reine. Si vous êtes assez patiente et que vous gardez espoir, les sentiments du Roi envers votre mari redeviendront cordiaux. »
« Tout cela est très facile pour vous. Vous êtes de haute naissance, vous avez fait un grand mariage, et quoi qu'il advienne, vous serez toujours une grande Dame. Quant à moi, je ne resterais qu'une paysanne, quels que soient les efforts que je ferais pour devenir noble. »
Dagena était forcée d'admettre qu'il y avait un fond de vérité dans ce que disait Pétronille. Si son père avait été un grand seigneur, le Roi n'aurait jamais osé bannir son mari. Mais son père n'était qu'un paysan, mort depuis longtemps dans une petite ferme.
« Ne dites pas de telles choses. Vous n'êtes pas une paysanne, vous êtes la Comtesse d'Uzel ! Et je vous promets, au nom de l'amitié qui nous lie, de trouver une solution à vos maux. Je ferais tout mon possible pour que le Roi vous accepte à nouveau à sa Cour, même si cela implique de nouer une amitié avec cette affreuse Reine. »
« Dagena, je ne saurais jamais comment vous remercier. Oserai-je vous demander un dernier conseil ? »
L'expression de la Comtesse était plus sombre à présent et Dagena pressentait que ce problème était plus grave encore à ses yeux que le bannissement de son mari.
« Je … je crois que mon mari a une aventure avec notre bonne, Magota. »
« Pétronille ! Ce n'est que ça ? L'espace d'un instant, vous m'avez fait vraiment peur. » souffla Dagena, soulagée.
« M... mais, c'est affreux ! Je ne sais que faire ! »
« Depuis combien de temps êtes vous mariés ? » demanda Dagena.
« Douze ans en mai. »
« Alors rendez grâce qu'il soit resté fidèle tout ce temps ! Comprenez bien, Pétronille. Les hommes ne peuvent pas nous rester fidèles indéfiniment. Ils sont nos maris, les pères de nos enfants, nos maîtres et nos protecteurs, mais parfois, ils ressentent le besoin de prendre une maîtresse. »
« Mais c'est un péché ! Je devrais en avertir le Père Giovanni ! »
« Laissez les prêtres en juger. Et surtout, n'interférez pas ! » s'écria Dagena. « C'est le droit le plus strict de votre époux de prendre une maîtresse, et vous n'y pouvez rien. Soyez aimante avec lui, montrez-lui que vous êtes disponible, et alors il reviendra vers vous. Mais ne lui reprochez surtout pas d'avoir une maîtresse. D'ailleurs, ne lui en parlez même pas ! »
« Je suis sûre que c'est à cause de cet isolement dans notre château. Foulques s'ennuie et il a dû trouver une solution pour s'occuper. Je vous en supplie, Dagena, interférez auprès du Roi. Si Foulque est réintégré à la Cour, il quittera cette femme, j'en suis sûre ! »
« Alors je ferais tout ce que je peux pour votre bonheur et celui de votre couple. » répondit Dagena avec un sourire.