Mahaut change d'avis sur le mariage
Mars 1016.
"Vous féliciterez votre cuisinière pour moi."
"C'est moi qui ai fait la cuisine." répondit le comte. "Devrais-je porter un bonnet et une jupe pour vous satisfaire, mon gendre ?"
Mahaut n'avait jamais vu son père d'aussi bonne humeur. Il venait de se débarasser de sa fille et il avait bien négocié la dot. Son bonheur pouvait-il être plus grand ? Pourtant, Mahaut ne pouvait se résigner à devoir quitter ce château où elle était née et avait grandi.
Seule la Dame Deifrida s'était déplacée pour être sa demoiselle d'honneur. Liutgarde, qui avait été bien prompte à être son ami lorsqu'il avait s'agit de l'aider à organiser le meurtre de la Reine Sophia, n'avait même pas daigné répondre à son invitation. Peut-être était-ce à cause de son mari ? Le duc de Branderion s'estimait sans doute trop haut placé pour assiter au mariage de la fille d'un comte avec le fils d'un évêque et avait il interdit son épouse de se rendre au mariage sans lui...
Piero allait-il agir de la sorte maintenant qu'ils étaient mariés ? N'aurait-elle plus le droit de voir ses amies ? Même Deifrida qui allait épouser son propre frère ? Les trouvères changèrent de musique et son esprit revint à la conversation. Il semblait que Piero parlait chevaux avec son père. Mahaut n'avait jamais aimé les chevaux, et l'accident de la Reine Sophia n'avait rien fait pour améliorer la situation.
"Saviez-vous qu'ils entassaient du grain autrefois dans la maison que nous allons habiter ? Du grain pour les chevaux..."
"Vous avez l'air absolument enthousiaste à l'idée de venir vivre dans une grange."
"Jésus n'est-il pas né dans une grange lui-même ?" dit l'évêque.
"Certes, monseigneur, mais je ne prétends pas être aussi sainte que la Vierge Marie. Je ne vois d'ailleurs que des pécheurs autour de cette table." dit-elle en lançant un regard insistant à son père.
"Mahaut ! Cela suffit maintenant !" rugit le comte.
"Laissez" dit l'évêque. "Je pense que je saurais raisonner celle qui est maintenant ma fille. Etant le plus érudit d'entre nous pour les questions religieuses, je puis affirmer que si nous ne sommes pas des saints, nous nous efforçons chaque jour d'atteindre la sainteté par nos oeuvres. Votre père, le comte, a fait de très généreux dons à notre cathédrale et fait bâtir une abbaye sur ses terres. Je pense que de telles marques de piété sont chères aux yeux du Seigneur."
Le comte acquiesça en souriant.
"Vous affirmez donc que notre argent seul suffit à racheter nos fautes commises ici bas ?"
"Ma chère enfant" répondit l'évêque "qui vous a donné votre argent sinon Dieu ? C'est la prodigalité qui vous sauve, et non votre fortune. Voilà bien pourquoi les femmes ne devraient pas parler de religion, elles n'y entendent absolument rien ! A de rares exceptions près." ajouta-t-il avec un sourire pour la comtesse.
"Je suis sûre que Piero sera ravi d'apprendre qu'il a épousé une sotte."
Mahaut ne comprenait pas pourquoi Piero ne disait rien pour la défendre. Après tout, c'était son mari et son maître, et non cet affreux évêque. Et pourtant, il restait silencieux, essayant de s'excuser par le regard confus qu'il lui lançait. Devant le regard suppliant de sa femme, il se décida néanmoins à parler.
"Voyez-vous, mon père, je pense rejoindre certaines des idées de ma femme."
"Allons donc !" rugit le comte. "Voulez-vous que tout Pradvael sache qui porte la culotte dans votre ménage dès le jour même de votre mariage ?"
"Je pense que malgré toute la prodigalité dont l'on peut faire preuve dans ses bonnes oeuvres, il y a certains péchés que seule une pénitence dure et sincère peut absoudre."
"M'accuseriez-vous d'être un pécheur ?" grogna le comte.
"Certainement."
La comtesse ne put s'empêcher de pousser un petit cri de frayeur. Mahaut surveillait la main droite de son père, priant pour qu'il ne la porte pas à son épée.
"Tout comme mon père, moi même et mon épouse, ainsi que chacun de ceux qui sont autour de cette table. Et le plus grand des péchés que nous puissions commettre, est de nous déclarer des saints."
Mahaut se tourna vers l'évêque avec un sourire emprunt de fierté. Ce mariage promettait d'être passionnant.